Journal d'une insomniaque mal lunée
28/01/2022
22h30. Je suis vannée. Je laisse mon homme et mon Chat à leurs occupations : l'un regarde la télé en somnolant, et l'autre se lèche le trou de balle. Par respect et pudeur envers leur personne, je ne te dirai pas qui fait quoi. Je vais au lit, avec la confiance du dormeur raisonnable et ce vieil adage sage : « Le sommeil avant minuit est le plus réparateur, ce dodo s'annonce prometteur ». Erreur. Je sombre, ou plutôt je chute. Tu connais ça ? Quand ton esprit s'endort avant ton corps qui panique et sursaute ? S’ensuit un coma sans rêve et réveil.
23h. CHBIM ! Le Chat fonce dans la porte de la chambre pour l’ouvrir. La fameuse délicatesse féline. C’est l’heure pour lui de prendre sa place sur son coussin de nuit. J'ai l'habitude, je sursaute à peine et replonge dans les ténèbres.
23h45. L'homme entre dans le lit, créant un gigantesque courant d'air sous la couette, je vais choper un rhume, attraper la mort ! Je bougonne tout en faisant semblant de dormir, pour faire croire que je râle malgré moi. Qu’on n’ait rien à me reprocher demain… Heureusement la chaleur humaine compense la maladresse humaine, je me réchauffe et me rendors. Tout va bien.
3h. MIAOUOUOU MIAOUOUOU ! (Manger! Manger !) Le Chat proteste. J'ai oublié d'ajouter trois croquettes à sa gamelle à moitié pleine, elle est donc à moitié vide. MIAOUOUOUOUOUOUOUOU ! (Je crève la daaallle, je vais mouriiiiiiiiiiiiiiir de faim !) Je me lève d'un bond avant qu'il ne réveille toute la baraque. Le Chat a la voix qui porte. Il se barre joyeusement en me voyant somnambuler dans le couloir. Une incroyable énergie nocturne lui permet de trottiner jusqu'à la gamelle en lâchant des BROU BROU BROU joyeux. J'arrive à la gamelle dont le niveau n'a pas baissé d'un pouce. J'ouvre quand même le placard, et m'accroupis pour verser un supplément, histoire de… Je me retourne vers le Chat. Il n'est plus là. Ah. Il n'avait pas faim, en fait. Où est-il ? Retourné pioncer dans la chambre déjà ? Je bous : fichu Chat, si je l'attrape, je… non rien, en fait. Mais quand même.
3h05. Je retourne dans la chambre, et m'efforce vainement d'éteindre mon cerveau qui commence dangereusement à s'allumer comme si c'était l'heure du café, et à s'énerver comme si j'avais déjà bu mon café : « Fichu Chat, et demain je me lève, je bosse, et qui c'est qui va ramasser ta crotte au réveil, hein ? » Je me recouche. Le Chat ronfle depuis son coussin, comme s'il n'avait jamais bougé d'un poil. Je siffle pour le réveiller, bien fait. Il arrête, je me fais miraculeusement aspirer par le sommeil, juste avant qu’il ne reprenne son concert.
3h35. Ça ronfle encore. Fichu Chat. Bon, je vais encore siffl... Ah non, ce n’est pas lui. Changement de stratégie : léger coup de coude dans les côtes, suivi d'une imitation parfaite de la dormeuse bien endormie, absolument pas coupable de violence conjugale nocturne. Bingo, je me rendors avant le ronfleur. Je suis à cheval, je galope à cru. Je galope, je vibre, je suis libre, et mon cheval est… MIAOU ? MIAOU ? Fichu Chat ! Mais qu'est-ce qu'il veut ? Ah, l'ascenseur, ok. Oui, le Chat peut taper un sprint à 3h du mat, mais par contre il n'arrive plus à hisser ses 7 kilos sur notre lit. Ou alors il a la flemme. Je me raisonne, je vais simplement l'attraper d'une main, le poser à mes pieds et me rendormir. 4h n'est pas l'heure où on déborde de logique. 7kg soulevés d’un seul bras endormi ce n'est pas facile. Je baisse alors les deux bras pour le choper. Il s'échappe hors de ma portée et trottine jusqu'à son coussin, l'air de dire qu'il n'avait rien demandé, non mais. Je me lève, parce que je connais l'histoire, dans 5 minutes rebelote. Je le chope et le lance sur le lit. Oh zut, j'ai fait sursauter mon homme, je l'ai coupé dans ses ronflements. Oh pardon, c'est pas moi, c'est le Chat. Bon, le Chat s'est écrasé, je crois qu'il a compris que c'était plus l'heure de plaisanter. Je ferme les yeux, j'en étais où ? Le cheval, le galop…. Allez hop, en selle, euh non sans selle. Waouh, je suis fière de moi, j'arrive à reprendre mon rêve là où je l'avais laissé. Rare. Précieux. Merveilleux. Sauf qu'il y a un truc qui cloche. Je ne suis plus très à l'aise sur le canasson. Les secousses ont réveillé un organe. Tu sais celui qui pourrit aussi bien la nuit que le Chat : la vessie. Et là commencent alors les hésitations inutiles… Me lever pour faire pipi et me réveiller complètement, ou bien lutter et ne pas dormir, mais espérer cependant me reposer un peu ? Les ronflements, en canon, du Chat et de l'homme, me décident à me lever. Avec une délicatesse et une discrétion inversement proportionnelles à mon agacement : il se peut que j'aie fait un joli courant d'air en m'extirpant du lit. Une bourrasque même.
4h40. Je sors de la chambre, je suis tellement réveillée maintenant que je pourrais bien aller aux toilettes en trottinant, si j'étais aussi con que le Chat. Je préfère y aller en maugréant. Râler c'est mieux que courir, surtout la nuit.
4h45. Un autre organe s'est soudainement réveillé. L’estomac. Il hurle. MIAOUOUOU ! J'ai faim. Très faim. La fatigue, l'énervement, le renoncement. Va savoir. J'ai envie d'un café et d'un petit déjeuner. Le café pour aider à se rendormir c'est encore une preuve irréfutable de ma logique nocturne… Je me fais plaisir : cracottes beurrées et café au lait, dans la pénombre et le silence. Je serais presque contente d'être réveillée si je n'étais pas si crevée. Dans 2h45, je dois me lever. Non ne compte pas. Dans 2h35. Ou 2h65. Je ne sais plus compter.
5h25. La panse bien remplie, les idées changées à déjeuner, naviguer sur internet, râler contre ces commentaires à ne pas lire sous les articles à polémique… Je ressens un écœurement du monde, suivi d'un délicieux coup de barre. J'essaie de relativiser. Normalement le Chat m'a tout fait, maintenant je vais souffler. Finalement, il m’a servi un bon prétexte pour m'offrir un supplément petit déj…
5h28. Je retourne au lit, en pensant bien à repasser aux toilettes, je ne me ferai pas avoir deux fois. Un doux silence enveloppe la chambre. Je m'enfonce avec joie sous la couette, pas peu fière d'avoir limité l'appel d'air ce coup-ci. Miracle, je me rendors. Un peu.
6h10. Je donne un coup de coude au ronfleur d'à côté, un coup de pied au ronfleur du bout du lit. Le dernier coup de pied a trop secoué le gros félin, il décide de sauter du lit. SCHBOUM ! Cool, je me dis, naïve que je suis… Je savoure l'espace retrouvé au niveau du pied du lit et me rendors… trois minutes. Des grattements stressants me griffent les tympans. Ça vient du salon. CRAC GRIFF GRIFF CRAC COUIC GRIFF. Le Chat va déposer l'offrande que je ramasserai à l'heure réelle du petit déj. Un bon quart d'heure pour préparer le terrain. Pour finalement ne pas recouvrir sa crotte et me la laisser en évidence. Après tout, je suis son esclave… A quoi bon tenter de dissimuler l'odeur, hein ?
6h25. Pas grave, j'enfonce mes boules Quies jusqu'au cerveau. Si j'en avais une autre paire je la mettrais sûrement dans mes narines, pour couper court aux odeurs de litière qui traversent le couloir de mon imagination. J'arrive à rattraper le train du sommeil. Le train tout pourri, tout déraillé, d'une nuit morcelée qui sera de toute façon bientôt terminée. Pas de cheval, pas de rêve, ou alors seulement des morceaux de projections déformées de la journée à venir (dans une heure donc).
7h30. Le réveil sonne. Je dormais tellement légèrement que je ne sais pas s'il me réveille vraiment. Ni si je suis vraiment réveillée ou complètement endormie. Je me lève et avance à tâtons vers la cuisine. Je me ferais bien un café, mais j'en ai déjà bu un à 4h. C'est comme si j'avais gaspillé mon plaisir du matin. Zut, je n'y avais pas songé.
7h35. Je vais voir mes filles. Le Chat trône sur le lit de la grande. Il me jette un regard hautain trop mignon, typique du félin, et me lance un : ROOOO MIAOU ? (Salut ! Alors, t’as bien dormi ?) Ma fille a un grand sourire ravi qui va jusqu'à ses yeux de panda fatigué.
« Miou-Miou m'a réveillé à 6h38. Il grattait à ma porte alors je l'ai pris. Je suis fatiguée mais c'est pas grave. »
Quel relativisme ! J'admire. J'aimerais faire de même.
Dommage. J'ai craqué et bu un autre bol de café. Il n'était pas bon, parce qu'il avait perdu la saveur de l'attente. Par contre, il m'a bien réveillée, bien énervée.
Avec mon pyjama sur lequel est inscrit “Jamais râleuse”, je m’apprête à passer la matinée à pester contre les rêves inachevés, les grains de litière, les ronfleurs, le café, les commentaires à ne pas lire sous les articles à polémique… Je jalouse, avec une terrible mauvaise humeur, le Chat. Celui qui pioncera toute la journée au lieu d'aller trimer pour se payer lui-même de quoi remplir sa gamelle et sa caisse à crottes.
Bref, si tu me croises aujourd’hui, je te conseille de filer en trottinant.
PS : Pour me venger j'ai pris le Chat en photo pendant son sommeil. Flash dans sa tronche, bien fait ! Ma vengeance était terrible ; il a mis dix bonnes secondes à réussir à se rendormir.